La prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ou prime « gilets jaunes » : réflexions autour du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 29 octobre 2019 http://www.assemblee-nationale.fr/15/ta/tap0345.pdf
On se rappelle tous des manifestations des « gilets jaunes » fin 2018. Ces manifestations ont eu notamment comme conséquence la promulgation de la loi n°2018-1213 portant mesures d’urgence économiques et sociales dite loi MUES. Cette loi, promulguée le 24 décembre comme un cadeau de Noël, prévoyait en son article 1er la mise en place d’une prime de pouvoir d’achat exonérée d’impôts sur le revenu et de cotisations sociales dans la limite de 1000.00 € par an et par bénéficiaire à condition, pour le bénéficiaire, de ne pas dépasser un certain seuil de revenus annuels fixé à 3 SMIC. L’objectif affiché était clair : donner plus à ceux qui ont moins !
Cette prime est renouvelée en 2019 mais à la lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, il est possible de s’interroger sur la capacité de nos parlementaires à comprendre réellement la situation et les enjeux. Rappelons en effet que l’objectif de cette prime désocialisée et défiscalisée était d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés les plus défavorisés, raison pour laquelle l’exonération n’était acquise qu’en dessous d’un certain montant de rémunération annuelle.
A l’heure ù nous rédigeons ces lignes, la version 2019 de cette prime impose l’existence d’un accord d’intéressement pour conserver le bénéfice de l’exonération sociale et fiscale. En d’autres termes, si l’entreprise est dotée d’un accord d’intéressement, elle pourra verser à ses salariés une prime bénéficiant du régime social et fiscal de faveur. A l’inverse, faute d’accord d’intéressement, point de régime de faveur applicable à l’éventuel versement d’une prime.
Un amendement de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale avait prévu de supprimer cette condition d’existence d’un accord d’intéressement pour bénéficier du régime social et fiscal de faveur pour les employeurs de moins de 11 salariés. Toutefois, cet amendement de bon sens a été rejeté par l’Assemblée.
Aussi, seules les entreprises pourvues d’un accord d’intéressement pourront bénéficier de l’exonération sociale et fiscale en cas de versement d’une prime « pouvoir d’achat ». Par voie de conséquence, seuls les salariés ayant déjà accès à une rémunération périphérique ayant un régime social et fiscal de faveur au travers d’une prime d’intéressement pourront également bénéficier d’une prime « pouvoir d’achat » au régime social et fiscal favorable. Les autres salariés devront se contenter d’une prime classique (imposable et cotisable en totalité) ou, et c’est probable, de rien du tout. On est loin de l’esprit initial consistant à donner plus à ceux qui ont moins.
On peut comprendre que le législateur souhaite encourager et promouvoir l’épargne salariale mais la mesure est totalement contreproductive.
Pour promouvoir ces dispositifs fort intéressants, il serait bon de les encadrer d’un régime social stable pour les employeurs. Rappelons en effet que l’intéressement a vu son régime social fortement évoluer passant de l’absence de cotisations patronales à 20% de cotisations employeur pour revenir, dans certains cas, à une absence de cotisations. L’aléa juridique n’est pas propice à la conclusion de tels accords.
Par ailleurs, ces accords sont soumis à un strict formalisme de conclusion en matière de contenu et de délais et ils ne se mettent pas en place sur le coin d’un bureau en 5 minutes. Ils procèdent d’une vraie réflexion stratégique de l’entreprise. Les réduire à l’opportunité de verser une prime désocialiser et défiscaliser n’est pas le meilleur service qu’on peut leur rendre et qu’on peut rendre aux salariés.
Il est regrettable de constater que le couplage du régime social et fiscal favorable de la prime pouvoir d’achat à l’existence d’un accord d’intéressement dessert à la fois le principe même de l’accord d’intéressement mais également les salariés pour lesquels aucun accord existe dans l’entreprise.
Le rejet de cet amendement éloigne un peu plus la représentation nationale de la population qu’elle représente et de l’objet initial de sa mise en place à savoir donner plus à ceux qui ont moins.