Congés payés de fractionnement : analyse de l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 5 mai 2021 (n°20-14390)

Amandine Lecomte

Dans cette affaire, l’entreprise avait fait renoncer aux jours de congés payés supplémentaires pour fractionnement en insérant directement une clause dans le contrat de travail des salariés.

La Cour de cassation censure cette disposition au motif qu’aux termes de l’article L. 3141-19 du code du travail (dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016), les jours de congés payés supplémentaires sont dus pour le fractionnement du congé principal à moins que des dérogations ne soient intervenues par accord individuel, convention collective ou accord collectif d’établissement.

La Cour rappelle également que ce droit à congés supplémentaires naît du seul fait du fractionnement, que ce soit le salarié ou l’employeur qui en ait pris l’initiative et elle conclu en expliquant que le salarié ne peut pas renoncer par avance au bénéfice d’un droit qu’il tient de dispositions d’ordre public avant que ce droit ne soit né, raison pour laquelle, il ne peut renoncer par avance au fractionnement directement par la signature d’une clause de son contrat de travail.

Cet arrêt est extrêmement intéressant d’un point de vue juridique.

Tout d’abord il fait référence à une notion d’ordre public à laquelle le salarié ne peut renoncer par avance. Rappelons au préalable que l’ordre public en droit du travail est caractérisé de deux façons :

  • D’un côté, des dispositions légales auxquelles on ne peut déroger dans quelque sens que ce soit parce qu’elles touchent à l’intérêt général ou aux droits fondamentaux de l’Homme : l’ordre public absolu
  • De l’autre côté, des règles protectrices sur lesquelles on peut déroger dans un sens plus favorable au salarié : l’ordre public relatif (ou ordre public social) et son fameux principe de faveur qui a connu ces dernières années quelques aménagements significatifs.

Ainsi pour la Cour de cassation, le salarié ne peut renoncer par avance à une disposition d’ordre public. Cette formulation est intéressante puisqu’en principe, le salarié ne peut pas renoncer à une disposition d’ordre public (que ce soit par avance ou pas) sauf à considérer qu’on se situe dans l’ordre public relatif et auquel cas, il y a lieu d’appliquer le principe de faveur : oui le salarié peut déroger à la règle à condition que ce soit plus favorable pour lui.

C’est là que l’arrêt de la Cour de cassation prend tout son sens. En effet, l’article L3141-19 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige prévoit la possibilité de déroger aux règles relatives au fractionnement par accord individuel ou par accord collectif.

Et, quelle plus belle application de l’accord individuel que la signature d’une clause dans un contrat de travail ? N’oublions pas que le contrat de travail n’est pas un contrat d’adhésion mais bien un contrat synallagmatique né par la réunion de deux volontés. S’il est manifeste que dans le cadre d’un certain déséquilibre contractuel, il est possible d’envisager qu’en cours d’exécution du contrat de travail, l’employeur puisse faire pression sur le salarié afin qu’il renonce à ses jours de fractionnement, cette pression est moins évidente au stade de l’embauche, le salarié pouvant plus facilement refuser le contrat qui lui est proposé s’il ne le trouve pas en adéquation avec ses attentes.

Il serait possible d’objecter que la situation économique place nécessairement le candidat/salarié dans une situation de soumission à l’égard de son futur employeur et que les rapports sont, dès lors, totalement en faveur du futur employeur tout puissant pour imposer toutes les conditions qu’il souhaite au futur salarié mais ce serait méconnaître la réalité du monde du travail et surtout ce serait admettre que par principe le contrat de travail est un contrat vicié dès l’origine car signé sous la contrainte. Aucun contrat de travail ne serait valable puisqu’aucun ne serait exempt de vices du consentement.

Néanmoins, pour la Cour de cassation, la signature d’une clause d’un contrat de travail ne traduit pas nécessairement la volonté du salarié. La Cour ouvre-t-elle la porte à une annulation massive des contrats de travail pour vice du consentement dans la mesure où elle semble admettre qu’un salarié puisse ne pas être d’accord avec ce qu’il a pourtant signé ? Non, ce n’est pas cette lecture qui doit être retenue car elle circonscrit son analyse au bénéfice d’un droit que le salarié tient de dispositions d’ordre public.

Cet arrêt marque -t-il alors la fin de toute possibilité de renonciation aux jours de fractionnement ? Dans la mesure où l’article L.3141-19 du code du travail applicable à ce litige est désormais repris dans l’article L3141-23 du même code lesquels indiquant qu’il peut être dérogé aux règles relatives aux congés supplémentaires de fractionnement « après accord individuel du salarié » et les articles L3141-20 et L3141-21 expliquant qu’un accord collectif peut fixer des règles dérogatoires en matière de fractionnement, à la lecture de l’arrêt de la Cour de cassation, le doute est permis.

Un grand professeur de droit civil m’a dit un jour que dans les arrêts de la Cour de cassation, chaque mot, chaque phrase étaient pesés avant d’être couchés sur le papier. Cet arrêt me semble en être une parfaite illustration car cet arrêt ne semble pas pour autant remettre en cause la validité des accords collectifs faisant renoncer le salarié aux jours supplémentaires pour fractionnement de ses congés.

A y regarder de plus la Cour de cassation nous rappelle simplement que ce droit à congés supplémentaires naît du seul fait du fractionnement, que ce soit le salarié ou l’employeur qui en ait pris l’initiative et que le salarié ne peut pas y renoncer par avance dans la mesure où il s’agit d’un droit qu’il tient de dispositions d’ordre public. Le salarié peut y renoncer mais pas par avance.  

Ces deux phrases combinées permettent de comprendre l’analyse réalisée par la Cour de cassation et peut-être de déduire les décisions qui seront prises à ce sujet dans les mois ou années à venir.

Rappelons que le Code du travail précise que c’est l’employeur qui décide des congés payés de ses salariés. Il y a certes des règles à respecter mais c’est bien l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, qui fixe les dates de départs en congé de ses collaborateurs. Pourtant, en pratique, dans la plupart des entreprises, ce sont les salariés qui posent leurs congés sous le regard facilitateur de leurs managers.

Malgré cela le code du travail n’opère aucune distinction en matière de fractionnement des congés payés selon la personne à l’origine de ce fractionnement. S’il est tout-à-fait compréhensible que le salarié soit dédommagé d’une contrainte que son employeur a fait peser sur ses épaules, il n’est pas logique que l’employeur soit contraint à octroyer des jours de congés payés en plus au seul motif d’avoir fait plaisir à son salarié. Mais la Cour de cassation est chargée d’appliquer les lois, pas de les faire. Elle doit donc être capable de faire évoluer leur interprétation en fonction de l’évolution de la société et c’est exactement ce qu’elle fait dans cet arrêt.

En effet, permettre au salarié de poser ses dates de congés payés et donc lui permettre de fractionner son congé est plus favorable pour lui que de voir ses dates imposées par son employeur. En permettant au salarié de choisir ses congés payés, l’employeur est plus favorable que la loi, il respecte donc le principe d’ordre public social. Ce respect permet alors de déroger aux congés de fractionnement y compris en les supprimant par voie d’accord collectif. Le renoncement aux jours supplémentaires pour fractionnement n’est que la conséquence du choix laissé au salarié dans la prise de ses congés payés.

En utilisant le terme d’ordre public, un terme qui est loin d’être neutre juridiquement, la Cour de cassation encadre les possibilités de renoncement aux congés supplémentaires pour fractionnement : ce renoncement est légal à condition qu’il soit favorable au salarié.

N’oublions pas qu’en l’espèce, le fractionnement des congés était imposé par l’employeur lequel imposait également au salarié de renoncer à leurs jours supplémentaires par principe.

Cette analyse de l’arrêt du 5 mai 2021 ouvre le débat : qu’en sera-t-il à l’avenir des accords collectifs prévoyant le renoncement aux jours supplémentaires pour fractionnement ? La Cour vérifiera-t-elle l’adéquation de l’accord avec l’ordre public ou considèrera-t-elle qu’un accord collectif est un acte de consensus lequel respecte nécessairement ledit ordre public ? De même, la Cour de cassation sanctionnera-t-elle toutes les clauses des contrats de travail prévoyant un renoncement aux congés supplémentaires pour fractionnement ou se livrera-t-elle à une analyse in concreto du respect dudit ordre public ? Le prochain épisode promet d’être intéressant.

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